Mon oncle
par
popularité : 2%
L’on se doit aux autres peut-être. Mais ce don de soi doit-il être vécu seulement dans la contrition ? Il m’a fallu un certain temps pour me réconcilier avec la morale. Celle-ci me fut imposée comme un chacun de l’extérieur ? Elle m’était mystérieuse et m’accablait. J’avais trop peur d’offenser ceux que j’aimais lesquels me parlaient de devoirs, de sacrifices ou d’espérances mises en moi. Je leur étais redevable à un point inimaginable. Je mesure à présent que j’ai vécu davantage pour eux que pour moi. J’ai appris que tout ceci était contraire à l’idée élémentaire du bonheur. Je me mentais. Je me bridais. Ma vie n’était que trahison et mensonge. Je simulais. J’étais divisée et sujette au ressentiment. Je devais soulever une montagne de préjugés pour vivre et respirer légitimement. Les années passaient et je sentais sourdre quelque révolte noire en moi. Je savais l’explosion inéluctable. J’aurais voulu cependant la contrôler pour qu’elle épargne certains de mes proches qui eussent été choqués que je ne correspondisse plus à mon ancienne image. Heureusement le hasard et quelque accident s’en mêlèrent. Depuis longtemps je soupçonnais mon mari d’infidélité. J’étais par trop accaparée par mes enfants pour donner caution à la médisance colportée par autrui. Je n’avais pas été foudroyée jusqu’alors par l’éclair de l’évidence. Tout cela demeurait dans une brume argentée qui me tenait lieu de bonheur. Cette brume un jour, se dissipa et apparu le ciel bleu et la cruauté du soleil. On croit avoir rêvé. En un instant le château de cartes de vos illusions s’écroule. On s’enferme dans la pénombre de volets fermés. On pleure sur soi et sa jeunesse volée.
On a aussi des envies confuses de vengeance. On en veut à la terre entière et notamment à ceux qui vous ont endormi et mené en bateau. J’ai sauté de ce bateau un jour. J’ai couru chez ce vieil ami de mon père que j’ai toujours considéré comme une sorte d’oncle. Aussi l’appellerai-je : mon oncle. Il m’a enseigné les rudiments du piano. Il a une réputation injuste d’excentrique qui l’a depuis ostracisé et écarté du cercle familial depuis la mort de papa.
Il me parut qu’il pouvait en cette grave circonstance remplacer celui-ci. Il habitait une vieille maison à la périphérie de la ville où coule une rivière jolie et encline à la rêverie. Je l’en plaisantais souvent. Je savais qu’il écrivait des vers. Certains m’ont évoqué depuis.
J’arrivai ce jour-là bouleversée. Au milieu des pleurs, il parvint à saisir la cause de mon chagrin. Il crut devoir s’en moquer. Il avait toujours détesté mon mari. Je me plaignis de son manque de compassion. Il rugit qu’on ne devait pas pleurer un con. Je lui montrai les photos qui témoignaient de la trahison. Il déplora que ma rivale ne fût pas même jolie. Ce traitement brutal gagna pourtant à me remettre assez vite. Je ne pleurais plus et m’animais au contraire de vengeance. C’était l’effet escompté par l’oncle. Il me voulait vindicative et non point abattue. En un instant il me découvrit que j’avais moi-même concouru à ma vie de nullité et de mensonge. Aussi ne devais-je pas tant perdre de temps à maudire ma famille et mon mari. Ce qui importait est ce que je voulais faire. Je lui avouai justement que l’avenir à présent m’effrayait. Il me traita de lâche de vouloir me cramponner au confort et au néant d’un passé.
Il me représenta que mes enfants étaient grands et autonomes. Que j’avais fait des études brillantes et que je pourrais avec plus de loisirs les valoriser à présent. Et puis j’étais loin d’être une fille si vilaine. Je devais prendre du bon temps. La vie est courte et Dieu n’existe pas. Sur ce dernier chapitre, je m’offensai, car mon malheur ne m’avait pas rendue encore mécréante.
Il m’exhorta de ne pas faire d’esclandre et de rien laisser paraître de mon chagrin. Il me fallait comme mes ennemis apprendre à dissimuler. Mon oncle me promit qu’avant six mois j’aurais révisé de fond en comble mon opinion et sur les femmes et sur les hommes. La douleur et le chagrin sont notre meilleure école. On n’a jamais trouvé mieux. Il me dit que je devais tout au plus me concentrer sur ma seule vengeance même s’il trouvait ce sentiment trop bas. Mais se consacrer à celui-ci lui parut un moindre mal. En effet plus tard je n’eus que mépris pour mon mari et ne voulut point me venger. Ces conseils me furent donc précieux. En effet je n’avais renversé la table ni jeté le bébé avec l’eau du bain. Ma famille ne décela pas au début que j’étais devenue cette femme nouvelle et inexorable. Je me rapprochai ainsi de mon oncle spécial. Je repris le piano. Je lui donnais en retour conseil sur la décoration de sa maison. Celle-ci partait en quenouille. Il me dit que je le rajeunissais et que nous gagnerions à faire pacte commun contre le reste de la famille. N’étions-nous pas tous deux sensibles et artistes révoltés au regard de cette engeance futile ? LIRE LA SUITE
ZONE ABONNES L’abonnement vous permet :
d’enregistrer et d’imprimer l’intégralité des textes publiés de manière illimitée durant la durée de votre abonnement,
d’avoir accès à certains récits dont la teneur ne permet pas une large publication,
(NB : Si vous êtes déjà en possession d’un pass, entrez-le, selon le type de votre abonnement, dans une des 2 zones prévues ci-dessous pour accéder à la partie privée de RdF)
OFFRE DECOUVERTE (1 jours) | ABONNEMENT 7 JOURS | ABONNEMENT 15 JOURS | ||
---|---|---|---|---|
ABONNEMENT 1 MOIS |
ABONNEMENT 3 MOIS |
ABONNEMENT 6 MOIS |
SE DESABONNER |
OFFRE DECOUVERTE (code valable 1 jours seulement)
Commentaires