Le chant du cygne
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Un long moment Laure resta au bord de la plage les yeux rivés sur le soleil qui se couchait dans un flamboiement de couleurs mordorées. Une légère brise marine caressait son visage et ses épaules. Elle était si bien ainsi à contempler la mer étale qui s’étendait devant elle la berçant de son léger clapotis. Tout était si calme. Si beau. Comme si le temps n’avait plus d’emprise. Dans un dernier embrasement, le soleil disparut à l’horizon laissant derrière lui de somptueuses trainées lumineuses.
A regret Laure se détourna du spectacle grandiose que la nature venait de lui offrir. L’heure n’était plus à la rêverie. Un frisson la parcourut à l’idée de ce qui l’attendait, qu’elle avait voulu, cette nuit. Un nœud d’angoisse lui serra le ventre et, un bref instant, son souffle se fit court et son pas hésitant. Elle était folle. Elle devait renoncer. Il était encore temps. Retourner sur la plage et plonger dans les flots, se laisser bercer par les vagues. Oui, elle pouvait encore faire marche arrière. Personne ne lui en voudrait. R, lui-même, pourtant si fort attaché aux expériences extrêmes, l’avait conjurée de ne pas tenter cette expérience-là qui devait la mener au-delà de toutes ses limites et, elle l’espérait, lui permettre d’outrepasser ses dernières frontières. Il lui avait dit qu’elle n’avait plus rien à prouver. A lui prouver. Il avait raison bien sûr. Mais elle lui avait rétorqué qu’elle avait quelque chose à se prouver à elle. Mais là, sa volonté vacillait. Elle ne comprenait plus très bien les raisons qui l’avaient menée à prendre cette décision, il faut bien le dire, terrifiante et délirante. S’offrir toute une nuit, tel un objet sans âme, à des inconnus hommes et femmes qui pourraient user, abuser d’elle comme ils l’entendraient sans qu’elle ne puisse rien, absolument rien leur refuser. Simple poupée de chiffon entre leurs mains dont la seule alternative serait de subir. La seule limite, ne pas attenter de manière définitive et irréversible à l’intégrité de son corps. Pas de no limit donc qui peut conduire à la mort.
Bien sûr R serait là. Mais il avait pour instruction expresse de ne pas intervenir quoiqu’on puisse lui infliger aussi terrible et brutal que cela puisse être. Elle lui avait néanmoins concédé, pour faire taire son appréhension et surtout couper court, une bonne fois pour toute, à cette conversation, le choix d’un mot qui seul, si elle le prononçait, aurait le pouvoir de tout arrêter. En secret elle s’était juré de ne pas le prononcer sinon à quoi bon tenter cette expérience ultime qui ne serait plus alors qu’une mascarade dénuée de sens. Simple jeu de divertissement qui s’arrête aux premiers cris.
Ses pas l’avaient mené jusqu’à sa destination. Une porte tout à fait banale comme toutes celles de cette rue anodine. Seule une petite caméra fixée discrètement à un angle pouvait prêter à interrogation. Qui pouvait se douter de ce qu’il y avait derrière cette porte ? Un donjon comme il est convenu de nommer ce type de lieu. Seulement connu de quelques initiés et où l’on ne pouvait pénétrer que sur cooptation des membres. Une trentaine tout au plus. Pour l’occasion ce cercle restreint s’était ouvert et chacun des membres avait eu la liberté d’inviter jusqu’à deux personnes de leur choix. Laure jeta un dernier regard vers le ciel maintenant gris et posa son doigt sur la sonnette.
La porte s’ouvrit quasi immédiatement. R était là devant elle. Rassurant. Il la prit dans ses bras et la serra tendrement contre lui. Laure respira avec délices les effluves masculines qui émanaient de son corps et, comme à chaque fois, sentit son cœur fondre de bonheur quand ses lèvres se posèrent dans son cou en une tendre baiser avant de lui demander :
— Toujours OK ma chérie ?
— Toujours… oui, lui répondit-elle en faisant en sorte que sa voix reste ferme malgré la boule d’anxiété qui obstruait sa gorge.
— Tu sais que….
— Oui je sais, le coupa-t-elle abruptement. Inutile de revenir là-dessus. Je dois le faire, c’est tout.
— Bien. Alors suis-moi. Allons te préparer.
Lentement Laure et R traversèrent un court corridor entièrement peint en noir où les seules lumières provenaient de leds disséminés dans les murs et se dirigèrent vers une petite loge. Là elle revêtit une longue robe noire à bretelle au tissu translucide assortie de bottes en cuir noir à lacet à hauts talons. Doucement R lui releva ses longs cheveux bruns qu’il noua en chignon.
— Voilà, tu es prête.
— Oui, murmura-t-elle dans un souffle. Allons-y.
— Tu es sûre ? lui demanda-t-il inquiet
— Oui. Et tu le sais.
Mais, soudain prise d’un doute terrible devant l’anxiété de son compagnon, elle se blottit contre lui qui referma ses bras autour d’elle en un cocon de tendresse et de douceur. L’étreinte des amants ne dura qu’un instant mais elle y puisa le courage nécessaire pour franchir la porte de la loge d’un pas assuré.
Ils refirent le même trajet à l’envers avant de pénétrer dans une large pièce circulaire également peinte en noir et parcimonieusement éclairée par les mêmes leds que le corridor. Au centre un bar en marbre noir autour duquel étaient disposés de larges fauteuils et canapés en cuir ainsi que des tables basses en verre dépolis sur lesquelles avaient été fixées des menottes, des entraves. Tout autour la pièce s’ouvraient de petites portes qui menaient à des salons privés. Laure savait que ces salons recelaient toutes sortes d’objets, d’accessoires propres au jeux SM. Déjà s’élevaient de certains des claquements de fouets ou de mains s’abattant sur des chairs meurtries, des cris, des soupirs… Mais pour cette soirée spéciale le spectacle, elle le savait, aurait lieu ici.
Quelques personnes étaient déjà installées dans les fauteuils sirotant un verre qui regardèrent passer avec curiosité cette longue silhouette noire qui s’avançait tête haute sans daigner jeter le moindre regard autour d’elle. Laure avait voulu garder un certain mystère sur le déroulement de la soirée et personne ne savait exactement ni qui elle était, ni à quoi s’en tenir. La seule chose qui avait transpiré, à dessein d’ailleurs, était qu’une femme serait mise à leur disposition pour la nuit. Était-ce cette femme si fière semblait dire les regards fixés sur elle ?
Laure s’avança d’un pas soudain devenu incertain vers le seul point lumineux de la pièce. Une petite estrade brillamment illuminée par des spots sur laquelle était érigé en son centre un pilori, simple poteau en bois sombre d’environ deux mètres de haut, où étaient solidement fixés à l’extrémité supérieure de lourds bracelets en fer. Laure frissonna en songeant que, dans quelques minutes seulement, elle se tiendrait là, les mains solidement attachées au-dessus de la tête, offerte à qui voudrait… A droite du pilori, tout aussi menaçant, un carcan, en bois également, disposé lui sur une roue horizontale munie d’un roulement électrique qui permettrait de le faire tourner à volonté. A gauche, sur une large table recouverte d’un drap d’un blanc immaculé étaient disposés cordes, pinces, aiguilles, bâillons, lame effilée comme un scalpel qui brillait comme une menace, une lourde muselière en cuir, des suspensions… Derrière la table, fouets, cravaches, canne anglaise étaient soigneusement suspendus sur un chevalet… Tout un arsenal d’accessoires sexuels divers de plaisir ou de souffrance. Les pupilles de Laure se dilatèrent à la vision de ces objets qu’elle avait elle-même choisis et disposés et elle sentit soudain son sexe se contracter sous la pulsion de désir qui soudain la transperça à l’idée que sous peu elle en éprouverait la dure loi.
Voilà, elle y était ! Elle allait, en toute conscience, s’abandonner aux visiteurs les laissant libre de faire ce qu’ils voulaient avec son corps. Pour elle, recherche ultime de ses limites aussi bien mentales que physiques. Pour eux assouvissement de leurs pulsions les plus secrètes. Les plus perverses. C’était cela aussi qu’elle voulait explorer. Qu’est-ce qu’un individu, sous l’impulsion du désir ou quand on lui en donne la permission tacite, était-il capable de faire ? Jusqu’où pouvait-on aller dans la souffrance subie ou infligée ? Y avait-t-il, quelque part, une notion de plaisir sous-jacente à faire le mal ? A l’endurer ? Un jeu dangereux, elle le savait, qui pouvait l’entraîner aux confins du supportable. Mais elle devait savoir.
En silence R la fit monter sur l’estrade puis la disposa dos contre le pilori avant de lui faire remonter les bras et de refermer solidement les bracelets qu’il resserra étroitement autour de ses frêles poignets. Laure sentit le fer mordre sa chair. Légère douleur éphémère.
— Je t’aime, lui murmura-t-il avant de s’éloigner la laissant seule face à sa décision.
Pendant un long moment rien ne se passa. Elle était là, immobile, proie offerte sous la lumière crue mais personne ne bougeait se contentant de la fixer avec une avidité non dissimulée et se repaissant de ses formes que l’on devinait aisément sous le fin tissu. Mais personne n’osait encore s’approcher. Une demi-heure se passa ainsi. Dans les alcôves les gémissements s’étaient tus et tous les visiteurs s’étaient regroupés dans la grande salle. Qui le premier ou la première allait oser faire le premier pas vers elle, entreprendre le premier geste ? Laure commençait à douter. Se serait-elle trompée sur les motivations profondes de ces hommes et femmes ? Laure parcourut la pièce du regard. Il y avait au moins une cinquantaine de personnes qui l’observaient. Certains parmi eux ne seraient que simples spectateurs, voyeurs d’un jeu qu’ils n’étaient pas capables d’assumer. D’autres (combien ?) acteurs… Encore ¼ d’heure sans que rien ne se passe. Les bras de Laure commençaient à la faire souffrir d’être ainsi étirés depuis bientôt une heure. Pourtant la grande pièce s’était entre-temps encore remplie et lui parvenait le brouhaha de conversations faites à mi-voix.
Enfin un premier homme s’approcha d’elle et ses mains parcoururent impudemment le corps de Laure. Un autre dont les mains s’immiscèrent sous sa robe avant de remonter le long de ses cuisses et se poser sur son sexe déjà brûlant. Un troisième qui malaxa ses seins à travers le fin tissu. Un quatrième qui, après avoir pris le visage de Laure entre ses mains, l’embrassa goulument forçant la barrière de ses lèvres pour introduire dans sa bouche une épaisse langue.
Puis une femme se détacha de l’assistance. Un instant elle s’arrêta devant la table et y prit un objet avant de se diriger vers Laure d’un pas assuré. D’un geste preste elle coupa avec des ciseaux les bretelles de sa robe qui tomba au sol dans un doux chuintement dévoilant le corps nu de Laure.
— Voilà qui est mieux, lui chuchota-t-elle, avant de prendre à deux mains les seins de Laure qu’elle tritura un long moment en insistant sur ses tétons qui, sous la caresse, s’érigèrent et durcirent. Très beaux…. Et très sensibles…. On va s’amuser….
Puis elle s’éloigna. Quelques minutes où rien ne se passe. Mais Laure sent que l’ambiance dans la pièce a brusquement basculée comme chargée d’électricité. Est-ce la vision de son corps nu et sans défense qui a agi comme un déclencheur ? Ce corps aux lignes parfaites indemne de toute trace qui s’offre à la convoitise de tous ?
C’est maintenant un petit homme ventripotent qui s’avance vers elle. D’un geste brusque il lui fait écarter les jambes et, sans ménagement, lui palpe le sexe comme on palperait du bétail pour en tester la fermeté, avant de refermer dans l’étau de ses doigts le tendre clitoris qu’il étire longuement. Il lui fait mal mais aucun son ne sort de la bouche de Laure qui reste immobile.
— Mais c’est qu’elle est dure à la douleur la petite chienne, lance-t-il, mais je suis sûr que dans un moment je t’entendrai chanter…
A son tour il s’éloigne laissant la place à deux autres hommes. Un moment ils tournent autour de Laure comme pour la jauger. Leurs mains parcourent son corps, malaxent sans ménagements ses seins, sa chatte, ses fesses. Laure reste stoïque sous leurs dures caresses, se laisse faire sans esquisser le moindre mouvement de refus. Ils lui font relever haut une jambe, lui ôte sa botte. Puis l’autre jambe. La deuxième botte va valdinguer dans un coin. L’un se saisit d’une lanière de suspension qui pend à portée de sa main, la lie autour de sa cuisse, tire dessus et remonte sa jambe au maximum des possibilités de son corps. Lui demande de rester ainsi. Seulement perchée sur une jambe afin que l’assistance puisse observer l’écoulement qui suinte de son sexe et qui brille dans la lumière.
— Saleté de chienne, lance-t-il à la cantonade, voyez comme elle aime ça cette salope…
La position est inconfortable mais Laure garde la position demandée. Ils regagnent leur place. Laure se tient immobile, la jambe qui la maintient debout tremble sous le poids de son corps. Elle vacille. Va d’avant en arrière. Perd l’équilibre. Seulement retenue par les bracelets qui mordent durement la chair de ses poignets et la blesse. De longues minutes se passent. Interminables. Le suintement de son sexe se fait rivière et son suc coule le long de sa jambe tendue. Elle-même est étonnée de ce désir qui embrase son corps. Comment peut-on éprouver de plaisir dans cette situation où chaque muscle de son corps tendu à l’extrême la fait souffrir ? Ainsi exhibée, le sexe béant, à la vue de tous ? Elle voudrait que quelqu’un s’approche, la touche, un simple attouchement sur son sexe en feu et elle sait que la jouissance qui couve en elle va jaillir. Elle n’en peut plus. Voudrait pouvoir libérer ses mains, se caresser. Elle halète de désir inassouvi. Torture qui met ses nerfs à vif. Pourtant, les yeux mi-clos elle garde un visage impassible, cache à tous le tourment qui l’habite.
Enfin une femme le visage recouvert d’un masque s’avance, va vers la table et se saisit de pinces assorties de lourds poids qu’elle suspend aux lèvres de Laure qui serre les dents pour ne pas laisser sortir le moindre gémissement quand les pinces se referment cruellement. Puis une troisième sur son fragile bouton. Le désir a reflué pour laisser place à la souffrance. La femme défait le lien qui enserre sa cuisse et lui fait enfin reposer sa jambe. Bref soulagement. Les poids sont lourds, si lourds et étirent douloureusement ses lèvres et son clitoris. C’est maintenant autour de ses tétons que se referment les dures pinces sur lesquelles la femme prend un malin plaisir à tirer comme si elle voulait les arracher des seins. Le souffle de Laure se fait plus haletant, une onde de douleur transperce son cœur mais toujours aucun son ne sort de sa bouche. Comme dépitée la femme s’éloigne.
Déjà d’autres s’approchent, hommes, femmes, se succèdent en un ballet incessant qui ne laisse aucun répit à Laure. Certains portent des masques vénitiens au long bec, d’autres de simples loups, très peu ont le visage découvert. Laure sait que ce sont ces derniers qui seront le plus impitoyable et ne la verront plus comme une femme, mais comme le territoire de l’assouvissement de leurs fantasmes. Eux n’ont pas honte de ce qu’ils sont et n’ont nul besoin de se cacher. On la palpe, la triture, la pétrit, la malaxe. Des mains dures claquent ses fesses, ses seins. Animal docile Laure s’exécute, garde les positions demandées aussi humiliantes et dégradantes qu’elles puissent être. Ne bouge pas quand une main, féminine lui semble-t-il, force l’entrée de son sexe. S’enfonce en elle et griffe la chair fragile de son vagin. On détache ses bras et on referme sur sa tête la muselière de cuir dotée d’un embout qui empêche sa bouche de se refermer et elle sent, sans qu’elle ne puisse rien y faire sa bave dégouliner le long de son menton. Elle est maintenant à genoux et un homme introduit au fond de sa bouche sa queue turgescente. Le membre est gros, long, gonflé de sève. Laure hoquète, perd son souffle, a un haut de cœur. Imperturbable, l’homme continue son mouvement de va et vient dans la gorge de Laure et éjacule abondamment. On la remet debout, le sperme dégouline dans son cou. On enserre alors étroitement ses seins dans un petit carcan. A chaque tour de vis qui resserre davantage l’étau, Laure ne peut retenir des gémissements ce qui fait ricaner d’aise ses tourmenteurs. Elle a la sensation que ses seins vont éclater tels des melons trop mûrs. Une peur primale, l’étreint. Tous semblent déchaînés, incontrôlables. Non vraiment, à cet instant elle n’est plus, à leurs yeux fous de convoitise, une femme mais un simple objet que l’on peut manipuler à sa guise. Une femme se saisit d’un petit martinet et fouette les seins dont la sensibilité a été exacerbée par les pinces toujours en place. Les cris déchirants de Laure loin de l’apaiser semblent au contraire l’animer d’une joie mauvaise et elle redouble l’intensité des coups.
On la fait se retourner pour l’installer sur le carcan. Sa tête et ses mains sont maintenant solidement maintenues dans l’objet de torture. Ses seins se balancent dans le vide toujours sertis des pinces et des poids. Ses chevilles sont attachées à une barre d’écartement. Position impudique s’il en est. Croupe et cul offerts. On explore son cul y enfonçant sans ménagement des doigts inquisiteurs qui engendrent une douleur contre laquelle Laure ne peut retenir ses cris. Les doigts laissent place à un objet qui lentement, inexorablement, élargit son anus. C’est sûr, elle va se déchirer en deux, tel un pantin désarticulé. Des hommes profitent de la béance pour éjaculer en elle. Leur sperme se mélange, coule le long de ses cuisses. A un moment on applique sur et dans son sexe un vibro alors que, simultanément, une fine canne en jonc marbre ses fesses de traits de feu. Douleur et plaisir se conjuguent en Laure jusqu’à ce que, à bout de résistance, elle se laisse aller à jouir dans un cri arcboutant son corps dans le carcan. Elle sent son plaisir jaillir d’elle et, source inépuisable, couler le long de ses cuisses. Tous s’éloignent d’elle. Se repaissent de cette jouissance. Moment de répit de courte durée.
Déjà on met en marche le mécanisme sur lequel est monté le carcan et lentement la machine se met à tourner. Un groupe d’hommes et de femmes munis de martinets, cravache ou fouet font comme une ronde infernale autour d’elle. Laure distingue leur visage réjoui alors qu’une pluie de feu s’abat sur ses reins. Parfois, vicieusement, la lanière du fouet s’immisce entre ses cuisses écartées et vient mordre cruellement la chair fragile de son sexe et de son cul. Combien de temps cela dure-t-il ? Elle n’en a aucune idée. Elle a perdu tout sens du temps. Son corps n’est plus qu’une lancinante douleur et pourtant elle le sent, contre toute attente, jubiler. Elle crie maintenant sans discontinuer. Cris de souffrance ou de plaisir ? Elle ne sait plus. Ses bourreaux non plus dont les coups se font plus lents, presque hésitants à la vision du corps marbré de longues balafres sanguinolentes. Certains s’éloignent, partent comme honteux d’avoir participé à ce déchaînement de violence. D’avoir laissé libre cours à leurs instincts les plus primaires. Ceux qui restent, Laure le sait, iront jusqu’au bout.
En aura-t-elle la force ? Un moment elle hésite à appeler R, à demander un moment de répit. Mais elle sait aussi que si elle s’arrête, ne serait-ce que quelques minutes, elle n’aura plus le courage de revenir. Mais déjà on la détache du carcan. Pantelante et tenant à peine sur ses jambes, on la positionne de nouveau sur le pilori, poignets immobilisés par les bracelets et les chevilles toujours entravées par la barre d’écartement. Elle se laisse faire sans un mot le souffle haletant. Un nœud d’angoisse lui broie le cœur quand elle voit le petit homme du début s’approcher d’elle, une lueur mauvaise dans les yeux. Dans ses mains, il tient tout un assortiment d’aiguilles de diamètres et de tailles différents. Un sourire sardonique étire ses lèvres quand il lui souffle :
— Maintenant tu vas chanter pour moi ma belle, et d’un geste preste il arrache les pinces qui ornent toujours les seins de Laure qui crie sous le brutal afflux de sang.
Tous ceux qui sont restés, une dizaine de personnes, se sont regroupés autour d’eux et observent la scène en silence. L’homme a, à portée de main, un petit chalumeau sur lequel il fait chauffer une première aiguille. Laure ne peut retenir un hurlement quand l’aiguille transperce son sein droit dans un grésillement de chair brûlée. Une deuxième suit. Puis une troisième. Et ainsi de suite jusqu’à ce que ses seins soient hérissés de toute part. La douleur est atroce. Insupportable. Les lèvres de Laure se sont réduites à un fil, des larmes coulent de ses yeux. L’homme se baisse. Laure comprend dans un éclair de lucidité qu’il va s’en prendre maintenant à son sexe. Elle tremble de tout son corps, prête à hurler le mot qui la délivrerait de son tourment. Mais non… Du coin de l’œil elle devine un mouvement dans l’assistance. C’est R qui s’avance prêt lui aussi à tout stopper. Il la regarde semblant lui dire que cela va trop loin. D’un mouvement de tête imperceptible, elle lui ordonne de ne pas intervenir. Elle va tenir le coup. Il le faut. Elle le doit. L’assistance s’est encore clairsemée. Seuls restent les plus aguerris qui ne connaissent pas la pitié, pour qui seul compte l’assouvissement de leur pulsion les plus inavouables.
Déjà une première aiguille transperce une de ses lèvres. Et le calvaire recommence. Sans fin. Quand une aiguille traverse son clitoris, Laure se sent défaillir au bord de l’évanouissement. Elle ne sait plus ni où elle est, ni ce qu’elle est. La raison de tout cela. Son esprit s’évade. S’échappe. Comme libéré de toute contrainte. Elle est maintenant au-delà de la douleur. Dans un espace où plus rien ne peut l’atteindre. Sans qu’elle s’en rende compte, elle se met à sourire. Le petit homme la regarde, interloqué. Il s’éloigne, dépité de ne pas avoir su la faire plier, laisse sa place à un homme d’une cinquantaine d’année au visage impassible de prédateur.
Un long moment il l’observe en silence. Semble jauger sa capacité de résistance. Laure ne cille pas et soutient le regard. Puis il se détourne vers la table. Laure le suit des yeux et le voit se saisir de la lame affûtée comme un scalpel.
Il revient vers elle faisant miroiter la lame dans la lumière. De nouveau il la regarde. Sûr de lui et de son pouvoir. Le corps de Laure se tend d’angoisse. Son cœur affolé tambourine dans sa poitrine. Pourtant elle ne bouge pas. Prête à accepter l’inéluctable qu’elle redoute et souhaite tout à la fois. Etrange combinaison où répulsion et désir se mêlent inextricablement et deviennent indiscernables l’une de l’autre.
— Tu as sacrément morflé ce soir, lui lance-t-il tout en essuyant les larmes qui ont coulé le long des joues de Laure. Mais ce n’est pas encore fini… tu le sais…
Silencieuse Laure acquiesce de la tête sans pouvoir détacher son regard du rasoir qui luit comme une menace.
— J’aime quand tu cries. Tu es très belle. C’est quoi ton nom ?
Incrédule Laure le regarde. Pourquoi lui demande-t-il cela ?
— Ton nom ? répète l’homme en faisant vibrer de ses doigts les doigts les aiguilles qui ornent son sein gauche
Laure réprime avec peine un gémissement.
— Laure, souffle-t-elle, je m’appelle Laure
— Cinq lettres… c’est peu…. Je vais devoir improviser.
Que veut-il dire par là se demande Laure. Elle est soudain terrorisée par cet individu dont elle ressent la froideur implacable. L’homme approche la lame de son visage. Laure crie de terreur et se débat dans ses liens, essaye, en pure perte, d’éloigner son visage du couperet tranchant. Elle voit R prêt à bondir vers elle. Mais deux individus le maintiennent solidement. Laure est livrée à elle-même. Plus d’échappatoire possible. Elle sent qu’elle a perdu le contrôle de la situation. Ce forcené va la défigurer à vie. C’est de sa faute. Qu’a-t-elle voulu prouver ? Une peur viscérale l’étreint.
— Je vous en supplie, pas ça, sanglote-t-elle affolée. Tout ce que vous voulez mais pas ça.
L’homme toujours le sourire aux lèvres semble sourd à sa supplique et effleure sa joue avec la lame. Laure sent une fine goutte de sang couler jusqu’à la commissure de ses lèvres.
— Je vous implore, hoquète-t-elle complètement affolée. Je vous en prie… je vous en prie… non…
— Ah… tu fais moins la belle…. Tu sais que je peux faire ce que je veux de toi… et tu n’y peux rien ! Ton ami non plus d’ailleurs, ricane-t-il sardonique en lançant un regard vers R toujours solidement maintenu. Je pourrai laisser ma marque sur toi pour que tu ne m’oublies pas… Mais t’inquiète…. je ne vais pas défigurer un si joli minois. J’ai eu ce que je voulais. T’entendre me supplier. Mais ce n’est pas fini pour autant ! assène-t-il en éloignant le rasoir de sa joue.
Avec une lenteur désespérante, il approche alors la lame du ventre de Laure et, minutieusement, avec application, il commence à graver dans la chair tendre du ventre. Le sang ruisselle sur ses jambes. Elle pleure maintenant sans retenue. A bout de force. Cette ultime épreuve, du moins l’espère-t-elle, est l’épreuve de trop. Elle n’en peut plus. Trop d’émotions contradictoires. Trop de souffrance. Son corps demande grâce. Elle est si fatiguée… Indifférent l’homme continue son méticuleux travail. Il s’éloigne d’un pas pour contempler son œuvre. Puis revient et continue son travail. Le corps de Laure n’est plus que frémissements et douleur. Elle s’exhorte au calme. Ne pas bouger. Surtout ne pas bouger… Au chemin suivi par la lame sur son ventre elle devine soudain dans une fulgurance que l’homme est en train d’y graver en lettres capitales son nom. L A U R E. Cinq lettres de feu et de sang.
Combien cela dura-t-il ? Laure n’en a pas la moindre idée. L’esprit perdu dans un maelstrom de souffrance. Elle divague. Loin d’elle-même. Loin de tout. Elle n’est plus que sensations violentes. Elle n’a même plus la force de crier et seul un faible gémissement sort de ses lèvres exsangues. Pourtant elle sent palpiter au fond d’elle-même une sourde pulsation. Une chaleur qui lentement irradie d’une source jusqu’alors secrète et ignorée et se propage à travers ses veines. L’envahit toute entière. Une chaleur qui fait naître, contre toute attente, des ondes de plaisir. Un plaisir sauvage. Farouche. Primaire. Un plaisir bien au-delà du simple plaisir sexuel et qui pulvérise toutes les frontières. Un plaisir qui l’embrase. La consume. Plaisir extrême nait d’une souffrance extrême. La lame continue d’inciser les chairs. Mais Laure n’essaye plus d’échapper à la coupure du rasoir. Au contraire son corps se tend, réclame l’incision, se délecte du sang qui coule maintenant en abondance le long de ses jambes et se mélange au suc de sa jouissance qui dégouline de son sexe. Rivière intarissable source de toute vie. Elle est enfin là où elle voulait être. Maîtresse de son corps et de son esprit. Plus rien ne peut l’atteindre. Dans le secret de son cœur elle remercie l’homme de lui faire connaître cette extase suprême qui l’emporte et la fait maintenant geindre de plaisir.
L’homme se relève. Leurs yeux s’accrochent. Lui y cherche peut-être un assentiment qu’elle est incapable de lui donner. De nouveau la lame s’approche. De ses seins cette fois. Laure tressaille. Non pas encore a-t-elle envie de hurler. Elle ne pourra pas en supporter davantage. Mais elle ne bouge pas. Ne dit rien. Le laisse entailler ses seins pour y dessiner deux cercles parfaits parachevant ainsi son œuvre. Laure alors laisse son cri s’élever. Pas un cri de souffrance mais cri de jouissance et de délivrance.
L’homme est parti. Elle est maintenant seule sous le feu des projecteurs. R vient la détacher, veut la soutenir. Mais elle l’éloigne d’un geste. Titubante, ruisselante de sang et de sperme séché, les joues marbrées de larmes, le corps lacéré, elle entreprend de marcher parmi les derniers curieux qui n’osent, l’excitation passée, la regarder et détournent la tête. Lentement, délivrée et enfin libre, elle se dirige vers la sortie.
Elle sait que l’expérience qu’elle a vécu tout au long de la soirée ne se reproduira plus. Il est des plaisirs qui agissent comme des drogues dangereuses et dont il faut se défaire avant qu’il ne soit trop tard. Elle sait qu’elle doit retourner maintenant dans la lumière.
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