Le Maître de musique
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Il fume. Je déteste quand il fume. Il m’est impossible d’oublier sa présence et ça me rend folle. Il ne faut pourtant pas que je sois nerveuse… Aujourd’hui, j’ai fauté. Je lui ai menti. Rien ne le met plus en colère que le mensonge, je le sais pourtant bien. Mais j’avais besoin de cette journée pour me reposer et, au téléphone, c’était tellement facile de simuler un rendez-vous important…
Puis tout est arrivé tellement vite que je n’ai pas pu réagir. Il est entré, je suis restée figée. Il m’a vue, allongée devant la télé et il a tiré ses propres conclusions. À mon regard affolé, il savait que le rendez-vous n’avait pas été annulé, qu’aucune excuse ne justifiait ce flagrant mensonge. Sans un mot, il est ressorti. Mon anxiété était à son maximum. Il est revenu avec une corde, a lié mes poignets et m’a tirée avec le bout de la corde. J’étais allée trop loin, je m’en rendais compte à présent. Toujours sans prononcer la moindre parole, il m’a conduit jusque chez lui en voiture. Nous habitons à une distance absolument ridicule, mais, pour le principe, il souhaitait que nous vivions séparément. Peut-être pour que je me rende compte que mon sentiment d’appartenance n’avait rien à voir avec sa présence.
Arrivés chez lui, il vint m’ouvrir la porte et reprit le bout de corde qui faisait office de laisse. Il enleva sa veste, prenant son temps pour ouvrir puis fermer la porte du garde-robe. Je frémissais à l’idée qu’il se demandait probablement quel châtiment je méritais. Puis il me guida vers le piano et je compris ce qu’il avait décidé. Il me força à m’asseoir sur le banc de l’instrument, délia mes poignets et prit place sur le fauteuil. Il alluma sa cigarette. Et maintenant, j’attends.
— Tu m’as menti, Clara.
C’est une phrase sans réplique.
— Nocturne opus 72 numéro 1. Chopin.
C’est l’un de ses supplices favoris. Ça n’a rien de douloureux au départ : il me suffit d’interpréter le morceau demandé. Mais sous l’effet de la nervosité et de la peur, j’ai beaucoup de difficulté à jouer tel qu’il l’exige. Je sais trop bien qu’il compte mes fausses notes et n’en manque pas une seule. Mes doigts tremblent, mon souffle est saccadé. Je me mets à jouer. Il sait que je ne maîtrise pas encore la pièce à la perfection et que, dans de telles circonstance, ce n’est pas surprenant que les erreurs s’accumulent. Il tient le compte. Je joue. À la fin, j’ai des larmes aux yeux. Comme lui, j’ai entendu une horreur.
— 32 erreurs. Et aucune émotion dans ton interprétation… Dis-moi, tu as aimé ce que tu as joué ?
Je n’ose pas répondre.
— Réponds-moi ! As-tu aimé ?
— N…non.
— Tu es d’accord avec moi que cela mérite une punition exemplaire ?
— S’il vous plaît… Je peux vous expliquer… Ce n’est…
— Tais-toi.
— Je vous en pr…
— Va chercher la cravache. Maintenant.
Il n’y a plus rien à faire. Je lui ramène l’instrument, apeurée. Tremblante, je dénude mes fesses et le bas de mon dos. Il les caresse assez durement, et je me prépare mentalement. C’est étrange, même moi je suis en train d’oublier le fond de l’histoire. Je confonds tout, jusqu’à me persuader que je suis réellement punie pour ma piètre performance. Je subis la douleur le plus stoïquement possible, mais personne ne serait immobile durant un tel supplice.
Lorsqu’il dépose la cravache, aussi essoufflé que moi par le désir qui ne manque pas de le tenailler, je me promets de pratiquer davantage et de lui jouer son nocturne à la perfection la prochaine fois. Il sera fier de moi et m’aimera aussi passionnément que je l’aime en ce moment.
***
Il y a ceux qui ont le mal d’amour.
Il y a ceux qui ont mal à l’amour.
Et il y a ceux qui ont mal par amour.
Je sens sa tête, si près de mon dos, son souffle qui chatouille mes sens. Il me caresse, tendrement. La tête enfouie dans l’oreiller, je suis torturée par cette insupportable attente. Cambrée, prosternée dos à lui, nue. Rien ne m’est plus douloureux que cette attente, cette humiliation. Même devant lui, que j’aime, je ne peux supporter ni cette position, ni cette nudité, ni ce contact. Il me palpe, me caresse, me touche. Il aime ma colère, mes sanglots dans l’oreiller, ma souffrance.
Car après toutes ces années, je ne supporte pas de lui appartenir, pas comme ça. Je le connais trop, je sais qu’il le fait pour me rappeler cette situation, pour me rappeler que je lui appartiens, qu’il peut faire ce qu’il veut de moi.
Qu’il peut me caresser comme me frapper.
Je ne peux m’empêcher de me débattre un peu, bien que ce soit inutile.
Il pose durement son genou dans mes reins, m’immobilisant sous son poids. Je me débats de plus belle.
Finie la caresse…
Je le sens qu’il la prend, qu’il attend un instant pour m’effrayer un peu. Il lève le bras, je contracte mes muscles. Elle siffle l’air, pour ne jamais venir. Je me détends. Elle revient. Je hurle, dans ma tête. Je me débats, encore, mais les coups pleuvent et je n’y peux rien. Je sanglote dans l’oreiller… Aucun moyen de savoir le temps que ça a duré.
Il a eu la bonté de ne pas me faire compter.
Il s’en va… Je le sais… Il me donne un baiser, là où le cuir a rougi ma peau. Et quitte la chambre. Je ne veux pas bouger. Je veux m’en rappeler. Car malgré tout, ça m’a soulagée. De savoir qu’il prend soin de moi, qu’il prend le temps de me corriger…
Qu’il m’aime encore davantage ce soir…
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