Poitrines blanches en Afrique noire

Lucas (Illustration Badia, Traduction Hénic)
dimanche 27 septembre 2020
par  Henic
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1 - Impressions d’Afrique

La vieille camionnette saute sur la piste poussiéreuse qui traverse le pays Masaï. Au loin se trouve les contours du Mont Meru et au-delà, l’incomparable sommet enneigé du Kilimandjaro. Laura prend une profonde inspiration. Elle est impressionnée. Ce sont ses premières heures en Afrique !
La lumière est particulière, l’horizon si lointain, l’air si léger sur le haut plateau, les couleurs si vives… Elle ressent un profond sentiment de paix. Il y a quelque chose d’unique au cœur de l’Afrique noire et elle sent qu’elle l’a immédiatement compris. Le silence est presque rituel. Laura regarde le paysage infini. Elle est silencieuse, presque en transe…
Les grandes étendues désertiques, ponctuées d’acacias solitaires et de villages pauvres mais pittoresques, le peuple maigre à la peau d’ébène luisante, vêtu de tuniques de la couleur de la terre rouge… Tout cela est nouveau pour elle.
Elle a laissé Séville bien loin derrière elle. Presque vingt ans de sa vie… Tout ce qu’elle a connu paraît si lointain, y compris sa famille, Manuel et son emploi à l’école… C’est un nouveau départ pour elle. Elle renaît, dans un nouveau monde. Un monde mystérieux, inconnu. Le monde qu’elle a choisi. Elle a décidé de partir, de fuir, mais quoi ? Elle ne le sait pas, mais elle a fui.
Elle sait qu’elle est venue là pour y rester. L’Afrique ! Une vie plus simple, plus humaine, plus au contact des rythmes de la terre, c’est ce qu’elle recherche. L’Afrique est son rêve.
Elle est arrivée très tôt ce matin dans le bruit et l’agitation de Nairobi. La présence de soldats, l’air féroce avec leurs mitrailleuses, a d’abord surpris l’Espagnole souriante. L’équipement sophistiqué, les bérets rouges, les bottes brillantes et l’apparence athlétique et bien soignée des soldats présente un grand contraste avec les tongs en plastique et les vêtements modestes de la population civile.
Mais son étonnement ne dure pas longtemps. Laura est en Afrique, le rêve de sa vie. La vieille camionnette avec « Éducation pour le Monde » peint sur le côté passe la prendre. Elle est si fatiguée qu’elle s’endort tout de suite et ne se réveille pas avant le poste de contrôle frontalier de Namanga.
À nouveau, l’Afrique la surprend. Une foule de pauvres Noirs se presse des deux côtés de la clôture de barbelés qui sépare le Kenya de la Tanzanie. Il n’y a de raison apparente à leur présence.
Un colonel, armé jusqu’aux dents, portant un uniforme qui paraît résolument moins neuf et moins élégant que ceux de ses collègues de l’aéroport, ouvre une barrière en bois qui semble frêle. Une camionnette isolée y passe.
Laura sort pour se dégourdir les jambes pendant que le chauffeur remplit les papiers dans la petite case. Avant qu’elle le réalise, une foule de jeunes femmes s’est rassemblée autour d’elle. Elles lui montrent toutes les bébés qu’elles portent.
Le sourire de Laura s’évanouit rapidement. Les yeux noirs, si clairs, si brillants, semblent la regarder d’un air accusateur. Sans réfléchir, elle se réfugie dans la camionnette. Elle regarde par les vitres poussiéreuses la mer de robes et de visages qui regardent à l’intérieur. Des mains protègent les yeux, des mains appuyées contre la vitre…
Tout est étrange et différent. Ici, il n’y a pas de nuances pastel. Tout est extrême : la terre, les couleurs vives des habits, la peau ébène, le blanc des yeux…
Elle descend la vitre et caresse un bébé. Sa mère est très jeune, beaucoup plus jeune qu’elle. La fille doit avoir douze ans, peut-être treize. Laura lui parle en français et en anglais et risque quelques mots de swahili qu’elle a appris dans un livre de phrases courantes.
La fille sourit. Toute sa vie, Laura se souviendra de ce sourire. Un sourire qu’elle n’a jamais vu chez quiconque, un sourire qu’elle ne verra qu’en Afrique.

2 - Prisonnière

Deux semaines plus tard, dans le village de Ngogo, tout à coup, le bavardage excité des enfants et les chamailleries de leurs parents s’arrête. Laura se tait. Une douzaine de soldats de la guérilla armée encercle la petite paillotte qui sert d’école à Ngogo. Ils interrompent une réunion de parents.
Il pleut à verse.
Une autre douzaine de soldats se fraie un chemin à travers les parents avec la crosse de leurs fusils. Ils disposent des chaises devant la première rangée et s’assoient.
Laura se mord les lèvres. Elle essaie de se calmer. Les soldats sont armés et ont ostensiblement mis en place leurs chargeurs. Un Noir corpulent vêtu d’une robe aux couleurs vives et d’une casquette d’officier s’avance lentement et lourdement sur la voie qui s’ouvre derrière son escorte.
Laura le regarde avec un peu de dégoût. Ses manières sont repoussantes pour elle. Il est gros et gras, avec une tête de gorille et des yeux d’hyène d’aspect sournois. Ses lèvres sont épaisses et gonflées, de couleur violacée. Il arbore un petit sourire difficile à interpréter mais qui semble vouloir dire qu’il se sent plus puissant que les petites créatures autour de lui.
Il s’assoit lourdement sur une chaise qui le contient à peine. Il écarte largement les jambes. Sa djellaba, une robe à capuche en lin rouge, est relevée. Elle montre ses genoux charnus et donne un aperçu de ses énormes organes génitaux qui pendent presque jusqu’à terre.
Laura a la nausée en voyant cela. Elle ne peut s’empêcher de faire la grimace. Le porc est assis à deux mètres d’elle et une insupportable odeur de vieille sueur et de saleté l’agresse. D’une voix de stentor qui est aussi déplaisante que tout le reste de sa personne, il dit :
« Oh, je vous en prie, continuez. »
Laura le regarde des pieds à la tête. Elle a conscience de trembler et parvient à dire :
« À quoi devons-nous l’honneur… ? »
Le général rebelle Motutu regarde autour de lui. Tout le monde baisse les yeux. Il dit :
« La racaille autour de moi, ce sont des parents. Ne suis-je pas un père, le père de soixante-quatre enfants ? »
Laura essaie de se maîtriser. Elle serre les poings. D’une voix haut perchée, elle demande :
« Est-ce que vos enfants viennent dans cette école ?
– Non. Et c’est pourquoi je suis là. J’ai été informé qu’un nouveau professeur est arrivé. Je suppose que c’est toi ? »
Laura voit ses yeux lubriques qui parcourent son corps. Il est en train de la déshabiller mentalement. Elle hoche la tête, très mal à l’aise.
« J’ai entendu dire du bien de toi, maîtresse d’école. Et je suis heureux de dire que mes informateurs ne t’ont pas rendu justice. »
Ses yeux courent sur ses jambes nues. Laura rougit de peur et de confusion. Essayant de reprendre l’initiative, elle reprend :
« Voulez-vous inscrire une de vos enfants dans cette école ? »
Elle regarde au-delà de l’homme dans une tentative d’éviter son regard chargé de désir.
« Ici ? Mes enfants, ici, dans cet enclos à bétail ? Je n’y enverrai même pas mes filles bâtardes. Ce que je veux est que tu viennes à Kisangani pour les enseigner là-bas. En particulier Abdoul, le plus jeune des enfants. J’ai décidé de le reconnaître. »
Laura est sur le point de s’oublier. Elle en est presque à lui dire où il peut aller. Mais elle se retient. Les salauds sont armés et la case est pleine d’enfants.
« Je suis honorée par cette gentillesse de votre part, mais je crains de ne pouvoir enseigner vos enfants. Ils doivent déjà savoir lire et écrire, c’est ce que j’enseigne ici. Et ils sont musulmans, et je ne connais pas votre religion ni ses enseignements. Je ne connais même pas vos coutumes. »
Un lourd silence s’installe. Il dure et devient insupportable à tous ceux qui sont là. Dehors, la pluie tombe à verse. Le général continue de la regarder de haut en bas. Il est clair pour tous ceux qui sont proches de lui qu’il est dans un état d’excitation sexuelle. Sa robe de lin cache à peine l’énorme gonflement là où rien ne se manifestait auparavant. Laura déglutit nerveusement. L’homme est irréel, une sorte de monstre massif, permanent, dépourvu d’humour. Elle a peur.
« Tu te trompes, institutrice. Tu es parfaite pour mes enfants. Je veux les éduquer à la manière européenne. J’ai établi le plan qu’ils vont suivre. Tu n’auras qu’à le suivre aussi. »
La tension monte dans la case toute simple où Laura apprends aux villageois de Ngogo à lire et à écrire. Les villageois remuent nerveusement, se grattent la tête, regarde de droite et de gauche, frottent leurs pieds par terre. Les enfants perçoivent l’ambiance dominante et certains se mettent à pleurer. Un des soldats tripote bruyamment son arme. Laura décide de prendre l’initiative :
« Je suis désolée. Je suis venue ici pour travailler avec « Éducation pour le Monde ». Je suis venue pour apprendre aux gens à lire et à écrire. Je suis sûr que vous comprenez que je dois respecter mon engagement envers eux. »
Le général ne la quitte pas des yeux. Il sourit, d’un curieux sourire de travers qui dissimule à peine un air plus impatient, plus lubrique, dans son regard. Elle n’aime pas la manière dont évoluent les choses. Le général se lève sans un mot et se dirige lourdement vers la limousine rouge vif aux vitres teintées qui l’attend à l’extérieur. Il s’y installe et la voiture s’en va dans un nuage de poussière.
La situation se modifie à vive allure. Il y a une odeur de pétrole, puis des flammes, et d’autres soldats arrivent, certains sans uniforme. C’est l’armée gouvernementale.
Les autochtones sortent en courant, ils crient et hurlent, les femmes emportent les bébés…
De sa vie, Laura n’a jamais entendu le bruit d’un coup de fusil. Elle n’a aucune idée de ce qui se passe mais elle se jette à terre et rampe hors de la case en train de flamber.
Les soldats gouvernementaux tirent et le village se retrouve au milieu, pris sous les feux croisés de l’armée officielle et de l’armée rebelle. Les balles sifflent. Il y a les cris, l’odeur de pétrole, les craquements des cases qui brûlent… L’épaisse fumée monte en tourbillonnant malgré la grosse pluie. Les villageois et les soldats courent en crient dans la boue.
C’est la terreur.
Laura a presque atteint son 4x4 lorsqu’elle est brutalement tirée par les cheveux. Sa tête part en arrière et elle est jetée à terre. Prise de panique, elle regarde autour d’elle dans toutes les directions. Elle ne voit que des bottes militaires. Quelqu’un tire dans le sol à une trentaine de centimètres de sa tête. Le bruit est assourdissant. La boue vole et elle sent la poudre.
Elle ne peut se retenir et se trempe.
Elle se dit que la prochaine balle sera pour elle. Mais elle se trompe. Une lourde botte se place sur le creux de son dos et lui appuie dessus. Elle ne peut plus bouger. Elle entend Lamia, la Noire qui l’aide à l’école, crier désespérément quelque part près d’elle.
Lamia est à genoux au milieu d’un cercle d’une demi-douzaine de soldats gouvernementaux. Ils lui ont retiré son T-shirt et elle est nue au-dessus de la taille. Un des barbares lui tire les cheveux pendant que les autres lui montrent leurs membres érigés.
Laura peut sentir l’odeur des membres non lavés.
L’un des soldats, apparemment un officier, pointe son pistolet sur ses seins et met son pénis dans sa bouche. Ses bras ont été attachés avec brutalité derrière son dos. Elle pleure et crie de manière hystérique.

C’est une scène d’épouvantable violence primitive. Le visage profané de Lamia, lavé par les larmes et la pluie… L’immense excitation des hommes qui sont, évidemment, prêts à tirer pour obtenir ce qu’ils veulent. Les pénis, tous érigés, sont menaçants et tous sont monstrueux… Ils sont si différents de celui de Manuel, qui est le seul qu’elle ait jamais vu avant ce jour fatidique. Ils paraissent être les organes sexuels d’une espèce différente, tellement plus gros et noirs. Le bout a une nuance de violet qu’elle trouve repoussante.
Les soldats se caressent et se poussent, chacun est avide d’être le suivant à violer la fille lorsque l’officier aura fini. Laura regarde horrifiée, sans défense, tandis que d’énormes mains tirent les cheveux de sa collègue. Des bras puissants aux muscles saillants poussent et tirent sur la tête de la jeune fille comme un foret mécanique. Elle voit l’expression torturée de Lamia, ses larmes, ses mâchoires tordues et ses joues rougies par le sang de son nez.
Elle voit les puissantes fesses de l’homme se tendre et de détendre au rythme de ses poussées dans la gorge de la fille. Elle voit les seins nus de la fille, elle voit à quel point son dos est cambré et ses seins poussés vers l’avant, une offre qu’aucun soldat présent ne va refuser… Elle voit les gros seins fermes écrasés contre les cuisses du violeur, qui tremblent à chaque poussée. Et par-dessus tout, elle voit l’énorme pieu de viande rouge qui entre et qui sort des lèvres tendues de la jeune fille comme un piston bien huilé.
Laura hurle de douleur.
Quelqu’un lui force les bras dans le dos vers le haut et lui met des menottes. Les balles sifflent à nouveau dans les airs. Paniquée, elle se lève et essaie de s’enfuir, elle trébuche et glisse dans la boue. Les hommes en train de tirer à ses côtés se moquent d’elle…
Elle tombe la tête la première dans la boue, son visage et ses seins sont couverts de terre rouge et mouillée. Les balles continuent de frapper le sol près d’elle, les hommes rient toujours mais Laura n’entend rien de tout cela… Elle s’est évanouie.

*

* *


Lorsqu’elle se réveille, elle ne sait pas où elle est. Elle ne voit rien et elle a très chaud, surtout du côté de la tête. L’espace d’un instant, elle s’imagine être dans son lit, à Séville et être emmêlée dans ses draps. Mais elle essaie de bouger les bras et ne le peut pas… En s’éveillant, elle entend le bruit d’un moteur et sent l’odeur de l’essence. Elle réalise alors qu’elle est dans un camion. Avec une cagoule sur la tête.
Réaliser cela la frappe comme une injection de terreur pure dans les veines. Un cœur plus âgé n’y aurait probablement pas résisté. Puis elle prend conscience de la chaleur étouffante du soleil, la chaleur humide après la pluie. Elle réalise aussi qu’elle est complètement nue ! Quelqu’un lui a retiré ses vêtements lorsqu’elle était inconsciente ! Un des Noirs !
Elle essaie de contrôler sa panique…
Non, apparemment, ils ne l’ont pas violée. Elle a des bleus partout sur le corps et les menottes lui entrent dans les poignets. Son visage lui fait mal et ses seins aussi, sans doute à cause de la chute. Mais non, elle n’a pas été violée. Pas encore…
« Pas encore », pense-t-elle, “mais s’ils ne comptent pas me violer, pourquoi m’ont-ils retiré mes habits ? »
Puis elle entend Lamia qui dit d’une petite voix tremblante :
« S’il vous plaît ! Arrêtez… NOOON !... Je n’en peux plus…
– Qu’est-ce qu’il y a, la Noire ? Tu n’aimes pas que je te baise avec un pistolet !?
– Arrêtez, s’il vous plaît !
– Arrêter ? Tu veux que j’appuie sur la détente. Tu veux que j’explose ton con avec une balle ? »
Laura entend un clic…
« Non, s’il vous plaît… Je ferai ce que vous voudrez. Ne tirez pas ! S’il vous plaît ! »
Laura essaie de se retourner.
« Bon, bon, nous avons de la compagnie ! Ton amie blanche est enfin revenue à elle… »
Laura s’assoit dans un sursaut.


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Commentaires

Logo de Sylvain
lundi 28 septembre 2020 à 11h05 - par  Sylvain

SUPERBE traduction d’Henic. Un roman violent, voire plus « hard » que « hard » que le traducteur sait parfaitement rendre lisible, pas ennuyeux malgré la répétition des scènes violentes. De plus il évite le piège du racisme qui pourrait choquer le lecteur. GRAND BRAVO au traducteur, sans oublier l’auteur. Of course ! Sylvain.