3 - Drôle de couple

Le diable est dans les détails
vendredi 2 février 2007
par  Irène
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Marion, déjà toute bronzée sous sa crinière frisée, m’attend au bout du quai. Touche-touche du bout du nez et petit baiser sur la bouche, très chaste, du bord des lèvres... Notre vieux rituel de gamines provoque quelques regards interloqués dans la foule de la gare Saint-Charles.

Nous ne sommes pas encore au bas du grand escalier que mon adorable cousine, toujours fidèle à elle-même, m’a déjà sermonnée pour mon teint de papier mâché, mon petit ventre – « les abdos, cocotte, tu connais les abdos ? » – et mon pantalon trop lâche – « quand on a un cul pareil, on le met en vitrine, ma vieille... » Je ris et lui fais remarquer qu’elle devrait de se renouveler, puisque j’ai déjà eu droit aux mêmes commentaires trois mois plus tôt. Je passe le bras sur son épaule et lui glisse à l’oreille :

— Blague à part, je te jure que c’est pas l’heure. Je suis down, complètement down

— Oui, ça, j’ai cru comprendre. Ta voix au téléphone, c’était SOS-Détresse ! On va s’en occuper, mais pour l’instant, direction la plage. T’es à la mer, ici, Rennie, et il fait beau comme au mois d’août

Rennie... Le petit nom qu’elle m’a donné quand on marchait à peine, il y a près de quarante ans, dans le grand parc de la maison de Honfleur. Quarante ans d’une complicité que rien ni personne n’ont jamais abîmée. Elle me prend la main et, tout en babillant, m’emmène vers sa voiture (enfin, ce qui en tient lieu...) garée sur un passage clouté et ornée, bien sûr, d’un papillon qui rejoint illico la pile des précédents dans la boîte à gants.

— Il n’y a qu’à Marseille que le commissariat s’appelle l’Evêché. Béni soit le très saint inspecteur qui jettera tout ça dans la bannette !

On file sur la corniche, toutes vitres ouvertes. Pas un nuage et une mer d’huile. Un gros cargo blanc quitte doucement la rade. Destination Alger, Naples, Alexandrie, qui sait ? Un instant, je m’imagine sur le pont, regardant s’éloigner le rivage et les murailles du Château d’If.

Partie sans laisser d’adresse...

Abandon d’enfants ! Non, légitime défense, monsieur le Juge...

Marion parle encore. Il est question de maison, de déménagement, d’un labo-photo ultra-moderne pour son chéri. Moi, je me saoule d’air chaud et d’odeurs marines, rêve un instant d’une maison au bord de l’eau, là, à Malmousque, ou plus loin, à Pointe-Noire, ou bien d’un simple cabanon aux Goudes. J’aime Marseille comme aucune ville au monde, et n’y ai jamais habité. Pourquoi pas maintenant ? Un beau trois-pièces terrasse sur les hauteurs du Roucas-Blanc, vue panoramique sur la grande bleue, une chambre pour les garçons, une autre pour moi. Pour moi toute seule...

— Je t’intéresse follement, dis-donc !

Marion s’est arrêtée à la première place libre, près de la plage du Prado. Je la regarde et ferme les yeux en guise d’excuse.

— Bon ! Je prends le plaid et on va se dorer dans un coin tranquille. Et t’inquiète, je vais me taire...

Il n’y a pas foule et l’on trouve sans mal un endroit isolé. Marion se déshabille et apparaît bientôt dans un bikini tout ce qu’il y de plus mini. Une vraie pub pour « Slim Fast » !

— Et qu’est-ce que je fais, moi ? Je n’ai pas mon maillot en dessous...

— Dessape-toi quand même, je vais te donner un paréo

Assise, j’essaie de me faire discrète, mais allez donc cacher une telle avant-scène, surtout posée comme ça dans un soutif pigeonnant en satin et dentelle !

— Madone !T’as rien perdu côté nichons, ma grande. Comme dit mon jules, y’a plus qu’il n’en faut pour remplir la main d’un honnête homme, s’esclaffe Marion. Et vu que le verso est au diapason, on ne va pas tarder à être cernées par tous les mâles du coin.

Elle me lance son paréo et je retrouve aussitôt une tenue plus digne.

— Bon ! Trêve de plaisanteries. Qu’est-ce qui te met dans ces états. Il y a de l’eau dans le gaz avec Juju ?

Je ne sais quoi lui répondre. Elle est légère alors que je me sens lourde. Rieuse alors que je suis triste à mourir. Insouciante alors que le ciel tout entier m’est tombé sur le crâne...

— Une cata, Marion ! Une cata ! Et dire que j’ai rien vu venir...

Je commencé à raconter, essayant de gommer les détails les plus scabreux, mais ses questions m’obligent sans cesse à préciser davantage. Tout y passe : les messages de « Maîtresse » sur le portable, la nuit blanche de confession, les travestissements de l’adolescence, la peur des filles, la fréquentation assidue des professionnelles, le souvenir ineffaçable de la première fois, l’éjaculation précoce...

Marion écoute et questionne mais ne marque aucune vraie réaction. Tout juste, de temps à autre, un petit sourire ou un regard étonné. Le soleil baisse déjà à l’horizon et l’air devient plus frais. Changement de décor : on va prendre un thé sur une terrasse voisine, quasi déserte.

— Et ensuite ? demande ma cousine, de ce ton neutre que doivent prendre les psys quand ils écoutent sans sourciller des tombereaux d’horreurs ou de cochonneries.

Ensuite ?

Je reprends mon souffle, comme Julien l’a fait dans la nuit. Et je réalise que je ressens, au même instant du récit, le doute et la lassitude qui ont paru l’assaillir lui aussi. Comme si tout était dit. Comme s’il était vain d’ajouter des mots aux mots, des aveux aux aveux, sauf à juger utile, et peut-être même plaisant, de noircir davantage l’estime de soi sans laquelle on ne peut vivre.

Mais il a continué, Julien. Déballant sa vie la plus secrète avec une complaisance toute masochiste. Comme s’il fallait tuer, jusqu’au dernier zeste, le respect qu’on lui porte.

La suite tenait du catalogue illustré des trottoirs de Paris, devenus ses quartiers de noblesse. Il y avait ses habitudes, et ses préférées, régulièrement visitées.

Déborah, et son visage de squaw, qui l’énivrait de mots crus. Emmanuelle, toujours tirée à quatre épingles, qui le laissait se glisser sous sa jupe large pour se faire caresser et bécoter les fesses. Hélène, la Toulousaine, qui lui sortait juste la queue par la braguette et le masturbait devant le grand miroir pendant qu’il glissait la main dans sa petite culotte...

Puis il y a eu les sex-shops, les cabines aux senteurs rances et, à travers des cloisons trop minces, les souffles saccadés des voisins qu’il imaginait sans peine, bite à l’air comme lui, en train de se branler devant des fentes gluantes, des fesses ouvertes et des bouches avides. C’est là, cloîtré des heures entières, les yeux exorbités et la main mécanique qu’il a vu ses premières « maîtresses » à l’ouvrage : des kyrielles de déesses despotiques s’amusant à dompter, humilier, rabaisser des hommes heureux d’être avilis.

En sortant, désormais, il regardait autrement ces dames qui, jusque là, ne l’avaient guère attiré. Bottées, luisantes de cuir ou de vynil, menottes et martinet à la ceinture, parfois cravache à la main. Il a osé en accoster certaines, leur adressant un « qu’est-ce que tu fais » timide et s’excitant à les entendre débiter leur menu : « Ca dépend ce que tu aimes, chéri... Je te donne la fessée, je te fouette, je t’attache, je te mets les pinces, je te pisse même dessus, si tu veux... »

Il a souvent eu envie de les suivre. Mais il avait trop peur. Il ne voulait pas souffrir, lui, il voulait avoir honte. Honte de se sentir vicieux, de plus en plus vicieux.

L’arrivée du minitel a tout changé. Les messageries, roses et noires, n’ont bientôt eu plus de secret pour lui. Là, à l’abri de l’écran, il pouvait tout demander, tout dire. Et voilà qu’à ses mots, encore retenus, répondaient d’autres mots, bien plus forts, bien plus crus, qui aiguisaient ses sens.

Ainsi est venu pour lui le temps des « dominas ». Une, puis deux, puis bien d’autres, qu’il revoyait ou non, selon qu’elles entraient, ou n’entraient pas, dans le « théâtre » qu’il s’inventait, peu à peu.

Il n’a pas, pour autant, déserté ses trottoirs. Il a même ajouté d’autres, entre Opéra et Trinité, où se promènent des jeunes femmes aux talents de courtisanes, et quelques autres, surtout préoccupées par les fins de mois difficiles. Là, il a rencontré Aline, petite et menue, coiffée à la garçonne, curieuse et gourmande de vices en tous genres (à cet instant, j’ai cru voir mon portrait inversé !) Deux ou trois fois, il a sorti ses billets puis s’est créée, entre eux, une autre relation, dévotement consacrée au sexe qui a duré des années, émaillée de mille divorces et d’autant de retrouvailles.

Entre Pigalle et la rue Saint-Denis, les dames du minitel et la belle Aline, il s’y est employé, Julien, à nourrir ses obsessions et satisfaire ses vices. Il en a amassé un trésor de souvenirs, une longue litanie de « premières fois », débitée comme un palmarès.

J’ai écouté, abasourdie.

C’est devant Déborah, celle aux faux airs de squaw, qu’il a, pour la première fois, levé et écarté les cuisses pour offrir son cul à un joli gode. Il a eu mal, mais elle lui parlait, et lui disait si bien qu’il se faisait baiser comme une femme que deux branles ont suffi à déclencher ses jets. LIRE LA SUITE


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Commentaires

Logo de bizber
mardi 10 avril 2012 à 12h56 - par  bizber

Je fais une découverte certes tardive, mais, Dieu que l’histoire est bien racontée !!
Irène, avez vous l’intention de nous relater la suite, de nous dire comment Marion vous a convaincue que vous pouviez prendre une place essentielle et reconquérir ce petit soumis de Julien ? et surtout de nous expliquer cette reconquête ?
Je l’espère vraiment car votre texte est vraiment excellent
Cordialement

Bizber

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jeudi 28 juillet 2011 à 08h09 - par  Henic

La situation n’est pas unique, mais la manière de la conter est remarquable. Il serait bien dommage de ne pas connaître la suite... Remontera-t-elle à Paris ou pas ? Deviendra-t-elle la Maîtresse de son mari ? Tout porte à le croire, une fois avalée la déception initiale, ne serait-ce que pour aider à la digérer. Mais l’intérêt viendra de la manière dont ce sera raconté...